Un soir. Encore.
Il est trop tard.
Comme d'habitude.

Ce voyage était trop long. Trop loin. Trop fatiguant. Mais bien trop intéressant. Boston. Boston n'était pas Los Angeles, Boston n'était pas à elle. Boston était à ces putains d'Irlandais. Ces trop fameux Irlandais, qui l'avaient totalement ignoré durant la totalité de son séjour. Bien sûr, l'Imperium les surveillait de près. Bien sûr, cela aurait compromis sa propre couverture. Bien sûr, cela aurait mis son réseau entier en danger.
Bien sûr...
Bien sûr, mais leur dernier contrat - 5000 bouteilles de grand cru français, rien que ça- commençait à dater. Et ils n'avaient pas l'air de vouloir renouveler l'expérience. Des démêlés avec les Français, avaient-ils dit. Elle n'en croyait pas un mot. Que cela cachait-il réellement ?
Les Irlandais n'avaient d'ennuis avec personne. Les Irlandais étaient irréprochables. Les Irlandais étaient patients. Les Irlandais la faisait sacrément chier, avec leurs habitudes de laver le linge sale en famille.
Encore heureux qu'ils aient les reins assez solides pour supporter ce genre de petites histoires et reprendre tranquillement les affaires avec. Ils n'en feraient pas un foin pendant trois générations. Leur unique qualité. Quand ils disaient quelque chose, ils le faisaient et ne s'étalaient pas dessus.
Bordel, qu'est-ce qu'ils étaient chiants !
Elle se gara. Mis le frein à main. Sortit. Il faisait vraiment trop froid pour Septembre. Habituée depuis trop longtemps au climat chaud de la côte Est, le thermomètre indiquait un petit 11°, qui la mettait dans un état d'énervement plus profond encore. Elle remit sa veste en place, se refusant à la fermer et se mit en marche. Ses grosses chaussures claquaient sur le bitume, provoquant le regard étonné des passants, mais, à vrai dire, elle se fichait de ce qu'ils pouvaient penser.
Le vent, violent et frais, la giflait sans répit, lui apportant toutes les odeurs de la villes dans un mélange sordide, ne faisant aucune distinction entre les pots d'échappements et les odeurs de grillades, lui agressant le nez dans un enthousiasme absolument délirant.
Anastasiya soupira, traversa la rue et pris une petite rue latérale. Décidément, pour se changer les idées rien ne valait la marche dans un endroit calme...
Sa marche nerveuse se fit plus souple, plus calme. Elle se détendit, profitant de sa promenade, laissant ses pieds aller là où ils le souhaitaient... Se contentant juste d'observer les façades des maisons qui l'entourait, effaçant progressivement de ses pensées son énervement, les Irlandais, son travail, ses contrats, son manque singulier de combats digne de ce nom, les Irlandais, sa vodka qui s'épuisait inexorablement, la rougeole du petit Mikaïl et enfin, les Irlandais.
Elle tourna la tête, regardant devant elle. Elle se trouvait à un croisement, la rue se terminant là. Devant elle, se trouvait un ravissant petit pub, un superbe appel à boire. Avec un nom au moins tout aussi joli et charmant.
Putain.
Putain.
PUTAIN !
Ils me poursuivent. C'est un complot.
Elle resta un instant interdite, soufflée. Marre. Marre. Puis elle pris une décision. Ils lui avaient pris sa bonne humeur. Son temps. Ils lui mentaient. Ils foutaient en l'air ses affaires. Soif. Vengeance. Elle franchit les quelques mètres qui la séparaient du bistrot.
Z'ont à intérêt à avoir des trucs bons.
Elle poussa la porte. Doucement. Un délicieux sourire éclaira son visage, ne laissant rien deviner de la colère et de rage qui tourbillonnait en elle. Elle alla s'assoir au comptoir, ignorant superbement le parterre roux qui la fixaient d'un air morne de vache.
Le barman n'était pas là. Déçue, mais ne quittant pas son sourire délicieux, Anastasiya scruta les pénombres qui semblaient masquer une ouverture, vers les cuisines supposa-t-elle.
Elle se lança.

« Barman ! Un demi ! »

Vengeance.